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mercredi 10 juin 2020

Pourquoi l’Etat s’est révélé piètre gestionnaire de crise pendant l’épidémie

Reblogué depuis Conseil dans l'espérance du roi
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Solveig Godeluck


L’Institut Montaigne*analyse les ratés de la gestion de crise sanitaire en France. La «verticalité» du pouvoir a été un frein à la mobilisation efficace des collectivités territoriales, des entreprises, de la société civile.

Pendant l’épidémie du coronavirus, quelque chose s’est cassé dans la confiance qu’accordaient les Français à leur État. Ils ont bien plus critiqué l’action de leur gouvernement que les autres Européens, en dépit de difficultés et de bilans sanitaires parfois similaires. Ils se sont aussi sentis mal protégés et ont affiché leur pessimisme. Pourquoi ? Le directeur des études de l’Institut Montaigne, Nicolas Bauquet, a mené une cinquantaine d’entretiens pour « comprendre ce qui a pu se jouer, dans ces mois de crise, entre le pouvoir et la société »,et publie lundi soir une note intitulée « Rebondir face au Covid-19 : leçons pour l’action publique ». Une longue liste des ratés de l’action publique.

En matière de gestion de crise, les premiers pas ont été chaotiques. Du 27 janvier au 17 mars, c’est le ministère de la Santé qui a piloté seul la réponse de l’État, via les agences régionales de santé. Or, elles étaient équipées pour distribuer des crédits, pas pour mettre en place dans l’urgence une logistique de masques, de transferts de patients, etc. « Cette primauté du sanitaire dans la gestion de crise n’a pas permis de mettre en cohérence les différents services de l’État sur le terrain », souligne l’auteur.

Une organisation chaotique

Le 17 mars, la cellule interministérielle de crise est activée au sein du ministère de l’Intérieur, qui sait gérer l’urgence. Mais elle veut tout régenter, et s’empêtre dans les détails de ce qu’il faut interdire pendant le confinement. Elle passe donc à côté de l’essentiel : « Cœur de l’État verbalisateur, la CIC ne peut être celui de l’État stratège : qu’il s’agisse de la gestion de la pénurie de masques ou de celle des tests, les grandes questions se traitent ailleurs », souligne l’Institut.

Les choses s’améliorent avec la création de la commission Castex le 2 avril, qui s’appuie sur les préfets de départements et les maires pour gérer le déconfinement. Jean Castex nomme aussi des interlocuteurs sur les grands dossiers, par exemple Nicolas Castoldi pour les tests. Le 20 mai, un centre interministériel de crise dirigé par le préfet Denis Robin prendra la relève.

Pour gérer la crise, L’État français a surjoué sa « verticalité », alors qu’il ne peut pas tout, et ne sait pas tout, explique l’Institut Montaigne. Le résultat, ce sont des « doctrines restrictives » qui ont entraîné des blocages réglementaires et industriels, par exemple sur l’usage des tests. En Allemagne, « recherche universitaire, doctrine scientifique et action sanitaire ne sont pas liés par une chaîne hiérarchique, mais fonctionnent conjointement » ; en lien avec l’industrie. En sorte qu’à la mi-février, avant l’épidémie, l’Allemagne était déjà prête à tester massivement.

Une santé publique sous-dimensionnée

Pour lutter contre l’épidémie, il fallait pouvoir s’appuyer sur la science. Or, le coronavirus a révélé à quel point la santé publique avait été sous-investie en France. Haut Conseil de la santé publique et Haute Autorité de santé n’ont pas joué un rôle d’alerte au début de la crise.
 
Quant à Santé publique France, qui a pourtant absorbé l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, elle « n’a pas joué de rôle autonome dans l’appréciation de la crise ». Il a fallu nommer en catastrophe le 12 mars un Conseil scientifique, qui s’est lui-même appuyé sur les projections d’un épidémiologiste britannique, avant de prôner le confinement généralisé. Un conseil « privé de l’assise symbolique d’une grande institution de recherche indépendante, ou d’une agence de santé comme le Robert Koch-Institut », souligne l’Institut.

Un état déconnecté du terrain

Les agences régionales de santé ont concentré beaucoup des critiques adressées à l’Etat, note l’auteur. Si l’ARS d’Ile-de-France a réussi à coordonner efficacement les acteurs, la plupart du temps, « la lourdeur bureaucratique et la volonté de contrôle de l’information » l’ont emporté sur l’urgence sanitaire. La mobilisation compliquée des laboratoires départementaux pour réaliser les tests en est  l’illustration. Leur habilitation a donné lieu à « de très longues navettes entre préfectures et ARS, pour des questions de niveaux de signature et de prise de responsabilité ».

L’Institut évoque aussi « le long silence rencontré par les élus »,qui ont écrit au ministère de la Santé à la mi-mars pour mettre à disposition ces laboratoires. Ils ont dû attendre que le scandale éclate dans « Le Point » pour obtenir le 5 avril, « un décret et un arrêté autorisant ces laboratoires à réaliser des tests, dans des conditions restrictives qui ne permettent toujours pas, à ce jour, d’exploiter réellement leurs capacités ».

L’État semble tourner en boucle sur lui-même, coupé du terrain, inefficace. « Tandis que le dialogue avec le préfet porte essentiellement sur le décryptage des décisions et des textes de l’État, c’est sans son aide que les élus doivent tenter de relever les multiples défis qui se posent à eux : maintenir les services essentiels, se procurer des masques, rassurer et informer la population, préparer la réouverture des écoles », note l’auteur. Une bonne nouvelle toutefois, les nouvelles régions ont émergé comme des acteurs efficaces de la gestion de crise.

Les entreprises et la société civile ignorées

Contrairement à l’Allemagne, qui a fait confiance à ses grandes entreprises et à leurs acheteurs professionnels pour s’approvisionner en Chine, la France a commencé par réquisitionner toute la production et les importations de masques. Les services de l’État ont dû à grand-peine s’improviser acheteurs en pleine jungle concurrentielle. « A quelques exceptions près, les entreprises n’ont pas eu la possibilité de faire bénéficier l’État de leurs capacités d’action dans ce domaine », regrette l’Institut. De plus, le gouvernement a préféré déresponsabiliser les entreprises, en les empêchant de prendre la température à l’entrée des bureaux, ou de tester les salariés, mais en les contraignant à appliquer à la lettre des protocoles de déconfinement très précis.

Plus encore que les entreprises, la société civile n’a pas été consultée. Le Conseil scientifique préconisait pourtant le 14 avril d’y puiser légitimité et expertise de terrain. Sans elle, comment mener une vraie politique de prévention ?

L’auteur est effaré de constater que les données de mortalité du coronavirus sont purement médicales ; elles se résument à l’âge et aux comorbidités, ignorant superbement les déterminants sociaux : « Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est impossible, à partir de ces données partielles, de répondre à une question essentielle : qui est en train de mourir du Covid-19 en France ? »

On aurait également pu faire confiance aux Français pour se protéger les uns les autres avec des masques. Hélas, contrairement aux Américains, « on ne verra pas de vidéo de la porte-parole du gouvernement expliquant comment fabriquer un masque, et comment le porter », regrette l’auteur, en pointant la difficulté pour l’État de reconnaître une erreur et d’en appeler à l’aide de la société civile.


Le 9 juin 2020.

J'ajouterai à  cette longue liste de critiques des défaillances de l’État, celle de nos médias qui n'ont plus depuis longtemps droit au titre de quatrième pouvoir. Pourquoi le quatrième pouvoir ?   Parce qu'en démocratie représentative "idéale" le citoyen doit être informé pour pouvoir voter et désigner ses représentants en toute connaissance de cause .
En France, dès le départ, la démocratie a pris le chemin de la dictature, puisqu'il n'y a jamais eu de véritable liberté de la presse, qui n'est pas un gadget et qui n'a pas à être octroyée par un pouvoir condescendant et compassé. La liberté de la presse est inhérente, consubstantielle à la démocratie représentative . Sans elle, la démocratie n'existe tout simplement pas.
A sa place se substitue le plus souvent une ploutocratie voire une démocratie populaire ou tout autre avatar.
Les médias en se faisant la voix de son maitre, ont aggravé la situation en ne permettant pas aux opposants de s'exprimer, alors même que les assemblées étaient sous le boisseau. Notez bien qu'en France, sous la Vème, les assemblées ne servent à rien puisque, par définition, l'opposition notablement sous-représentée, est réduite systématiquement au silence. Le système français est fait pour permettre à l’État non représentatif de la répartition  des forces politiques,  de gouverner, fut-ce droit vers l'abîme mais avec une si belle assurance !
Il n'y a probablement pas de système parfait de gouvernement, mais notre système a montré en deux mois qu'il cumulait les défauts de plusieurs.

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